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L'image au centre de la Communication

L’image au centre de la Communication

Géraldine a maintenant 14 ans, elle utilise les signes pour parler, dans le cadre du programme Makaton de CAA.

J’ai lu cet été un remarquable livre sur le bilinguisme des enfants sourds, et la façon dont ils pensent en images. « Le bilinguisme, hier et aujourd’hui » Éditions de CTNRHI.

Je pense que Géraldine « pense » en image.

Cet aspect pourrait certainement être creusé chez tous les utilisateurs de CAA, que ce soit des signes ou des pictogrammes. J’ai mieux compris dans ce livre que, à la base, le petit bébé construit sa première représentation du monde, construit sa fonction de symbolisation à partir d’abord de la réalité de ce qu’il voit, des visages, des objets, des actions qu’il voit ou qu’il ressent physiquement; on peut presque dire que le langage n’est pas auditif par nature. Il se développe comme une extension des modalités inter actives précoces: certaines sont auditivo-verbales, mais beaucoup sont visuelles-gestuelles. La symbolisation primaire appartient à la sphère visuelle, mimo-gestuelle.
Géraldine a besoin d’images pour penser.

D’où l’importance majeure de son cahier de vie, où des photos numériques, des textes en pictos, lui permettent de construire sa pensée et ses repères. Elle peut trouver dans la pile de ses cahiers de vie ( un cahier dure 3 mois) La page, de La personne à qui elle pense, même si elle ne l’a pas vue depuis des mois. J’alterne les couleurs des couvertures des cahiers, et c’est sur cette couleur qu’elle retrouve, ce dont je serais totalement incapable.

Elle pense en images, organise son environnement en fonction: elle peut par exemple envahir les fauteuils du séjour de livres ouverts , sur chaque fauteuil, à une page donnée, avec un dessin donné, qui correspond à ses états d’âmes, ses inquiétudes, ses rêves.

Grâce au lecteur de DVD, elle peut aller sur le film qu’elle préfère, et choisir « son » image du moment, et ne regarder qu’elle. Elle utilise alors la télé comme elle le fait de ses livres ou cahiers de vie, juste pour l’image. En ce moment, c’est Shrek qui mange sa soupe tristement en pensant à Fiona… ?

L’autre jour, elle a vu dans un parc d’immenses statues de géants de brique, à côté desquels elle s’est sentie bien petite. En rentrant, elle a cherché le livre de Kirikou et l’a ouvert à la page d’un tout petit Kirikou à côté d’une immense sorcière. Cette image lui a permis de penser ce qu’elle avait ressenti.

Elle a tellement besoin d’images, que cela en est parfois obsédant : lorsqu’elle pense à un livre, elle peut mettre la maison sans dessus-dessous pour le trouver. Elle nous signe ce qu’elle cherche, mais nous ne comprenons pas toujours… et c’est difficile.

Un exemple récent : cet été nous avons assisté à un mariage dans le sud de la France, où de nombreux polytechniciens en épées étincelantes ont salué la sortie des nouveaux époux. Géraldine n’a pas vu la mariée, mais seulement les soldats qui lui ont fait très peur. Et quand nous sommes rentrés, elle s’est mise à chercher un livre d’un monsieur prisonnier… ça a duré plusieurs jours de désordre, de colères… et finalement j’ai trouvé ( je crois, dans ces cas-là où je peux trouver un livre mystérieux, à la transmission de pensée): c’était un livre de poche, montrant José Bové triomphant et levant des bras menottés en souriant. Elle a installé le livre à côté de son lit, et c’était tout: le livre devait la rassurer: on peut se libérer des soldats !! et l’angoisse des « militaires « est passée.

Je réalise en écrivant ces lignes que tous ces épisodes sont en lien avec des émotions un peu difficiles. Comment aurait-elle fait sans le support de ces images pour les exprimer et avancer ?

Mais elle le montre aussi dans d’autres situations: nous habitons en banlieue dans un immeuble récent, et nous avons rendu visite à la sœur ainée de Géraldine, qui habite le vieux Lyon. Géraldine a su trouver chez sa sœur le livre du « ballon rouge », et l’a ouvert à la page de l’immeuble du vieux Paris où habite Pascal …

Sa capacité de penser en images, la rend beaucoup plus attentive aux publicités dans la rue, beaucoup plus sensible à des détails que nous ne voyons plus.
On a pu se rendre compte ainsi qu’elle avait compris quelque chose du film de Harry Potter de cet été , au signe inventé pour les Détraqueurs: le pull qui mord.
Toujours ce livre sur le bilinguisme des enfants sourds m’a fait toucher du doigt que les personnes utilisant un mode de CAA sont dans une sorte de bilinguisme, et un immense champ de recherche est à explorer. Nous ne pouvons pas, nous les monolingues, penser le bilinguisme de notre point de vue. Comment se construit la pensée d’une personne qui reçoit un message sous forme à la fois visuelle et sonore, et qui renvoie le message sous forme visuelle ou gestuelle ?

Je pense que Géraldine utilise les signes un peu comme les égyptiens utilisaient les hiéroglyphes, ou les chinois les idéogrammes: certains ont une valeur symbolique et d’autres une valeur phonologique; Les enfants sourds n’ont pas cette difficulté.

De plus , elle est très gênée par les homonymes du français, puisque, nous, adultes signants autour d’elle, sommes toujours en retard sur son besoin de signes.

Par exemple, elle signera le film de Harry Pottter et celui des visiteurs de la même façon, s’accrochant sur le « teur » entendu.

Cet été elle a utilisé le même signe pour la sirène des pompiers et la petite sirène de la mer. Les signes sont bien sûr différents.

Elle signe toutes les personnes nommées Claire de son entourage ( et il y en a beaucoup) de la même façon, ce que ne ferait pas un sourd. Il faut dire que nous avons le même nom !!

Il y a eu un épisode amusant: ses frères voulaient regarder Shrek( toujours lui !) en anglais; elle a fait une colère , et disait en signes « pas jongler ». On a mis du temps à comprendre… En fait elle voulait dire « pas en anglais » La proximité sonore des mots l’avait trompée.

Ce que je comprends du besoin qu’a Géraldine du support du visuel pour comprendre le monde, comprendre ce qui l’ habite, construire son histoire à partir de ses cahiers de vie en photos et écrits en pictos, me fait toucher du doigt son besoin d’avoir autour d’elle des pictos, des images sur les murs, des adultes signant, des cahiers de vie en pictos, des noms en signe pour chaque enfant et chaque adulte, des trombinoscopes de tout le monde…

Source :  Marielle Lachenal, mère de Géraldine, médecin et formatrice Makaton
Témoignage paru en 2004 dans le bulletin de l’association Isaac (association internationale sur la communication alternative et augmentée)

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